vendredi 22 juin 2018

Chronique : 80% au bac... et après ?, Stéphane Beaud



Auteur : Stéphane BEAUD
Titre : 80% au bac... et après ?

Edition : La Découverte
Enquête - Sciences humaines

Ma note : 15/20



Cette chronique risque d'être un peu longue et je m'en excuse : puisque c'est un livre que j'ai étudié en cours, j'avais beaucoup à dire à son sujet et je me suis un peu laissée aller... N'hésitez pas à me dire ce que vous pensez de ce format de chronique ! Bref, place à mon avis.

En réalité, je n’aurais jamais trouvé de moi-même cet ouvrage s’il n’avait pas été sur ma liste de lectures obligatoires pour le semestre. Malheureusement trop peu connues, les études de Stéphane Beaud sont, certes très spécialisées, mais particulièrement intéressantes à lire lorsque, comme moi, on est passionné par le genre humain et la société (française plus particulièrement).

Avant toute chose, le résumé du livre : 
« ‘80 % d’une génération au bac’ : ce mot d’ordre, lancé en 1985 comme objectif de l’enseignement secondaire français, fait l’objet d’un consensus politique, satisfaisant le progressisme de la gauche enseignante et le pragmatisme des gouvernements qui ont vu là un moyen de juguler le chômage de masse des jeunes. Ce slogan a nourri les espoirs d’une possible promotion sociale pour les enfants de familles populaires, en particulier immigrées, dans un contexte d’insécurité économique et sociale croissante. Dans ce livre nourri d’une enquête de dix années, Stéphane Beaud raconte, à travers les portraits de jeunes d’un quartier HLM à forte composante immigrée, les illusions et les désillusions de ces « enfants de la démocratisation scolaire », engagés dans la voie incertaine des études longues. Il montre comment ils ont dû déchanter alors qu’ils se voyaient peu à peu relégués dans les filières dévalorisées du lycée et du premier cycle universitaire. L’auteur met ainsi en lumière l’ambivalence de la politique volontariste de démocratisation scolaire : d’un côté, une élévation globale du niveau de formation et une forme de promotion sociale pour certains et, de l’autre, un coût moral et psychologique important, voire dramatique, pour ceux qui se retrouvent fragilisés par leur échec universitaire et confrontés au déclassement social. »


Stéphane Beaud est un sociologue connu et reconnu pour ses travaux sur les groupes sociaux, et particulièrement ceux dont la parole n’est pas fidèlement retranscrite pour le grand publique, souvent déformée par ce qu’il appelle le « prisme journalistique ». Il est diplômé de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et est agrégé de sciences sociales dès 1985. En 1995, il soutien sa thèse de doctorat sur les trajectoires des ouvriers dans le bassin d’emplois de Sochaux-Montbéliard.

Dans son ouvrage 80% au bac… Et après ? ; Les enfants de la démocratisation sociale, Stéphane Beaud pose la question de l’avenir des jeunes d’origine ouvrière qui ont soudain accès aux longues études et qui se retrouve face à la possibilité de se détacher du modèle de l’ouvrier. Pour répondre à cette problématique et déterminer les conséquences de la réforme des « 80% au bac » de 1975, Stéphane Beaud est allé à la rencontre sur le terrain de jeunes collégiens qui ont fait le choix de poursuive leurs études au lycée, puis à la fac, dans l’idée de transcender leur condition ouvrière et d’accéder à un meilleur avenir que celui de leurs parents. Sur une période de dix ans, il va mener des entretiens plus ou moins réguliers avec ces étudiants de ce qu’il appelle la « démocratisation scolaire ». Il va, à travers cet ouvrage, mettre en avant les difficultés d’adaptation rencontrées par ces enfants qui ne sont pas habitués au travail tel qu’on le conçoit au lycée et à la fac, il souligne l’incompatibilité qui existe entre des institutions qui refusent le changement et des nouveaux élèves perdus qui refusent de se conformer à ce que l’on attend d’eux. Enfin, Stéphane Beaud va présenter les perspectives d’avenir de ces étudiants sans diplôme leur permettant de d’accéder un travail satisfaisant mais qui refusent cependant de se contenter de l’option ouvrière : il dresse ainsi le portrait d’une génération coincée entre deux mondes, les oubliés de la faculté, ceux qui ne parviennent pas, finalement, à réussir leurs études mais qui se retrouvent sur-diplômés pour les emplois accessibles.

La première partie de son ouvrage, intitulée « les lycéens de ‘cité’ » annonce la présentation des protagonistes de l’enquête menée par Stéphane Beaud lorsqu’il les a rencontrés pour la première fois. Lors du début de son enquête, Stéphane Beaud fait face à de jeunes collégiens, qui sont majoritairement issus de familles immigrées dont les pères sont ouvriers. Cette distinction toute particulière explique l’appellation qu’il leur donne en les nommant « lycéens de première génération » : ils sont alors les premiers, dans leur famille, à avoir la possibilité d’accéder au lycée et aux études dites « supérieures ». Dans une deuxième partie, Stéphane Beaud a consacré son analyse aux années de FAC d’un groupe de jeunes hommes issus des cités de Granvelle. Le choix de la FAC a, la plupart de temps, été effectué à cause du prestige attribué à la poursuite des études après le BAC et l’envie qu’ils ont de décrocher un DEUG (diplôme obtenu au bout de deux ans qui n’existe plus aujourd’hui) afin de s’assurer la possibilité d’un avenir ailleurs qu’à l’usine. La troisième partie de l’étude de Stéphane Beaud porte sur l’insertion professionnelle de ces jeunes qui ont pu bénéficier de la réforme des « 80% au bac » et qui ont entrepris de faire des études pour échapper à leur condition sociale et au déterminisme ouvrier. Il met en avant le rêve de ces jeunes étudiants d’obtenir une « situation stable » qui leur permettrait une tranquillité d’esprit qui a manqué à leurs parents ouvriers. Cependant, les échecs successifs découragent et chacun trouve refuge ailleurs que dans les études, oubliant peu à peu ce rêve longuement caressé de faire carrière comme fonctionnaire.

J’ai aimé lire ce livre mais on peut cependant sentir dans son ouvrage que Stéphane Beaud s’est progressivement attaché aux élèves qu’il a interviewé à de nombreuses reprises au cours de ses dix années d’enquête et c’est tout particulièrement leur point de vue qu’il valorise : celui d’un système éducatif inadapté pour les accueillir, les aider à faire la transition pour leur permettre de réussir au même titre que les autres élèves. Il présente également leur cadre de vie comme l’élément majeur de leur non-réussite et l’éloignement comme nécessité pour réussir à s’en sortir.

On pourrait lui reprocher son point de vue très focalisé (sur les étudiants masculins) mais lui-même explique ce choix dans sa postface de l’édition de 2003. De plus, le fonctionnement « en groupe » des hommes dans le cadre des « cités » (contrairement aux femmes qui, elles, sont cantonnées aux tâches ménagères et à l’école) explique en partie l’importance de l’influence du groupe sur leurs difficultés à s’arracher à cet univers où ils se sentent bien.

À travers cette étude, on assiste également à la création d’un « entre deux », entre les fonctionnaires à l’emploi stable et les ouvriers, toujours dans la crainte : le statut de « bac +1/+2 » qui représente la majorité de la tranche d’âge étudiée par Stéphane Beaud, ces élèves qui ont eu accès aux études longues mais qui ne sont pas parvenus à s’adapter au système. On peut d’ailleurs reprocher à Stéphane Beaud son regard compatissant envers son panel : il leur pardonne presque leurs échecs en adoptant le même point de vue qu’eux et en insistant bien plus sur l’incapacité du système scolaire à s’adapter que sur leurs propre lacunes en terme d’investissement, de travail et d’assiduité. Il dresse donc un portrait qui se veut partial de ces élèves qui ont bénéficié de la réforme de la « démocratisation scolaire » mais qui sont confrontés à une incompatibilité entre leur propre situation et le cadre d’enseignement.